La pause estivale touche à sa fin, les derniers aoûtiens sont de retour de vacances, après avoir éventuellement bravé le bouchon du Gothard et défait leurs valises. C’est aussi le moment de revoir des voisins, des collègues de travail et des amis pour leur parler d’une des activités principales en lien à la parenthèse de l’été : notre (ou nos) voyage(s).

Je dois vous avouer humblement que je redoute cet exercice : que cela soit la Floride, Zermatt ou l’Andalousie, les récits de mes interlocuteurs (et les miens aussi, d’ailleurs) me mettent souvent mal à l’aise, car ils se limitent la plupart du temps à une énumération de faits, d’anecdotes et, parfois, d’exploits dignes d’un bon polar, d’un film de James Bond quand ce n’est pas d’un des épisodes des Bronzés.

Ces partages me laissent souvent sur ma faim : je constate en effet que, au-delà de l’échange d’informations, la véritable communication, c’est-à-dire celle qui consiste à livrer ses ressentis et ses émotions, a rarement lieu et mon interlocuteur et moi-même ne faisons que de nous croiser sans véritablement nous rencontrer, l’objectif principal de la discussion étant de montrer à l’autre (et probablement aussi à soi-même) que notre voyage a été une réussite et/ou que nous avons « fait quelque chose » de nos vacances.

Et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer de glaner ici et là quelques signes de vécu et d’authenticité. Comme Proust, cité par Laurent Gounelle [1], j’essaye de me dire que « le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller voir de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est ». Je cherche donc à me mettre dans la peau, dans le cœur, dans la tête, d’ « embrasser l’univers » de l’autre en l’écoutant et lui posant des questions pour en savoir plus, parfois avec succès, souvent en restant cependant dans le registre du « faire » et non de l’ « être ».

Me vient alors un doute : et si, au fond, je voulais amener mon interlocuteur là où il n’a pas envie d’aller, vers un univers qu’il ne veut pas forcément partager ? Et si Proust s’illusionnait sur la capacité et sur le bien-fondé de « voir l’univers avec les yeux d’un autre » ? Chaque individu n’est-il pas le seul habitant d’un monde singulier, mystérieux aux yeux des autres comme, souvent, à ses propres yeux ? Et, comme le propose Jean-Louis Servan-Schreiber [2], ne devrait-on pas plutôt parler de « multivers », c’est-à-dire d’univers multiples composés de milliards de cosmos individuels et singuliers ?

Comme souvent, « je suis sûr des mes doutes et je doute de mes certitudes » (Bertrand Piccard [3]). J’ai cependant l’intime conviction que, à l’instar d’un personnage d’une des intrigues « philosophico-psychologique » d’Irvin Yalom [4], j’apprends à lire dans mes pensées pour que, fort de cette expérience, je puisse aider les autres à le faire dans les leurs. Le but n’est donc pas tellement de savoir si je peux ou si je dois voyager dans l’univers de mon interlocuteur, mais plutôt de me donner les moyens de voyager dans mon propre monde afin de pouvoir aider mon vis-à-vis à réaliser son propre périple, son propre voyage intérieur.

Si l’on en croit Bertrand Vergely [5], ce périple nous permet de découvrir de nouveaux espaces : notre intimité psychologique tout d’abord – nos émotions, nos besoins, nos motivations –, puis notre inconscient – notre vulnérabilité, nos blessures – pour déboucher enfin sur notre intériorité spirituelle – cette part de nous qui nous appartient à la fois le plus et le moins, celle qui consiste à se poser la question du sens de la vie et de la mort.

Que je sois « le voisin qui raconte ses vacances » ou celui qui endosse l’habit de coach, la profondeur du voyage ne m’appartient pas : cette responsabilité revient à mon vis-à-vis. Ma tâche principale consiste donc probablement à être un voyageur intérieur prêt à accompagner la personne aussi loin qu’elle est d’accord d’aller, la véritable destination résidant dans le voyage en lui-même. Sans oublier que, comme le relève Gandhi, « le plus grand voyageur n’est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde, mais celui qui a fait une seule fois le tour de lui-même. »

Olivier Mack, formateur et coach indépendant (www.mackoaching.net)


 

[1] Gounelle, L. (2010). Les dieux voyagent toujours incognito. Paris: Anne Carrière/Pocket.

[2] Servan-Schreiber, J.-L. (2015). C’est la vie. Essais. Paris: Albin Michel.

[3] Piccard, B. (2014). Changer d’altitude pour mieux vivre sa vie. Quelques solutions pour mieux vivre sa vie. . Paris: Stock

[4] Yalom, I. (2012). Le problème Spinoza. Paris: Editions Galaade, Le Livre de Poche.

[5] Vergely. B. (2014). Deviens qui tu es. Quand les sages grecs nous aident à vivre. Paris : Albin Michel.